« Erdogan l’autocrate, la Turquie l’expansionniste… » La Turquie et son président ont, c’est devenu pavlovien, très mauvaise presse en Europe. Pourtant dans le conflit qui l’oppose à la Grèce – et par ricochet à l’Union Européenne -, elle défend des intérêts vitaux qui ne sont pas pris en compte par ce qu’Ankara qualifie de “revendications maximalistes” d’Athènes sur le plateau continental.
L’île de Kastellorizo illustre parfaitement les termes du problème. Cette île qui relève de la souveraineté de la Grèce se trouve à seulement deux kilomètres de la côte turque et à 570 kilomètres du continent grec. Le droit international reconnaît, sans en fixer une limite, aux îles une zone économique. Mais Athènes, qui tisse des alliances avec Israël et l’Egypte pour l’exploitation de grands gisements gaziers en méditerranée, développe une vision maximaliste. En exigeant une zone économique exclusive maximale pour les îles sous sa souveraineté, elle fait de la mer Egée une zone exclusivement grecque où la Turquie n’a aucun droit.
C’est le coeur du problème. “Les Grecs se réfèrent au droit maritime. Mais c’est impossible de l’appliquer strictement.Avec la multitude d’îles de cette région, toute la mer Égée serait grecque. ” a estimé Didier Billion, spécialiste des relations UE-Turquie, à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
La Turquie mise à l’écart du jeu gazier
Ce litige, ancien, a été ravivé par la signature en janvier dernier d’un accord entre la Grèce, Chypre et Israël pour la construction du gazoduc “EastMed” pour transporter le gaz naturel de la Méditerranée orientale vers l’Europe.
Une montée des tensions a été enregistrée au large de Kastellorizo, en juillet dernier à la suite de l’envoie du navire turc d’exploration Oruç Reis, escorté par 18 bâtiments militaires. La chancelière allemande, Angela Merkel, dont le pays assure en ce moment la présidence tournante de l’Union européenne (UE), avait oeuvré à calmer la situation avec une promesse, assez vague, que le dialogue entre Ankara et Athènes reprendra.
Mais cette tension est remontée d’un coup à la suite de la signature, le 6 août dernier entre la Grèce et l’Egypte d’un accord de délimitation des zones zones économiques exclusives [ZEE], qui ignore l’accord turco-libyen. Une provocation pour Ankara. La réaction d’Erdogan a été forte: aucun accord ou arrangement en méditerranée orientale n’aura lieu sans la Turquie. Car, les accords en cours sur le gaz, soutenus de facto par l’Union Européenne, ne tiennent pas compte de la Turquie.
Le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères Hami Aksoy a déjà souligné en juillet dernier que « l’argument selon lequel une île de dix kilomètres carrés, située à seulement deux kilomètres de l’Anatolie et à cinq cent quatre-vingts kilomètres du continent grec, devrait générer une zone de plateau continental de quarante mille kilomètres carrés n’est ni rationnel ni conforme au droit international.”
Ne plus être « l’homme malade de l’Europe »
Le déploiement par Ankara au large de l’île de Kastellorizo, dans le sud-est de la mer Égée, du navire de recherche sismique Oruç Reis escorté par des bâtiments militaires est une réponse à cette mise à l’écart de la Turquie qui n’entend pas être, encore, “l’homme malade” de l’Europe.
La Grèce, a envoyé sa flotte et a demandé à la Turquie de “se retirer du plateau continental grec”. Elle a reçu l’appui de la France qui a envoyé des bâtiments de guerre dans la région. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré, que les recherches effectuées par l’Oruc Reis, se poursuivront jusqu’à 23 août. “ Au moindre harcèlement, nous répondrons sans la moindre hésitation … Ceux qui un siècle auparavant ont laissé la Turquie en dehors des sources d’énergies au sud, ne réussiront pas en Méditerranée orientale », a-t-il averti.
C’est un bras de fer qui peut n’être qu’un prélude aux négociations nécessaires pour tenir compte des intérêts de chacun. Mais un dérapage n’est pas à exclure.
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