Yasmina Gharbi-Mechakra est décédée dans la soirée du vendredi 27 novembre 2020 à Constantine. L’annonce a été faite par son éditeur Saïd Yassine Hannachi sur sa page Facebook. Son fils, le journaliste Chaouki Mechakra a annoncé que l’inhumation se fera dans l’intimité familiale au cimetière de Zouaghi, à Constantine, en raison de la situation sanitaire actuelle liée à la Covid-19. « Vos messages et prières nous ont fait chaud au cœur », a-t-il écrit.
Native de Meskiana, à Oum El Bouaghi, Yasmina Gharbi-Mechakra a longtemps vécu à Constantine où elle a enseigné la langue française pendant plus de trente ans. Elle était liée à sa belle sœur Yamina Mechakra, psychiatre et romancière, décédée en 2013, auteure notamment du roman poignant « La grotte éclatée »(paru en 1979).
Yasmina Gharbi-Mechakra a pris goût à l’écriture romanesque quelque peu tardivement. Elle n’a écrit que deux romans en français. Son premier roman « Les chemins de lumière » est publié en 2015 aux éditions Edilivre. L’auteure a plongé dans ses souvenirs d’enfance pour raconter sa vie en famille à Meskiana dans les années 1940 et 1950. « Mon frère était sorti acheter un bâton de craie. Le petit cousin qui venait de naître dans la pièce contiguë à la nôtre et où vivait le frère de papa et sa famille se mit à pleurer. Déposant son ouvrage, maman s’apprêtait à aller s’occuper de lui car sa maman était malade. Soudain, la tête de mon oncle s’encadra dans la fenêtre que nous escaladions volontiers quand nous voulions sortir sans déranger ma tante. « L… a été écrasé par un camion, souffla-t-il » et il fit demi-tour. Je n’ai pas entendu la phrase mais la rapidité du mouvement me frappa. Maman hurla et s’élança par la fenêtre. Le monde alors bascula sous nos yeux… », a écrit Yasmina Gharbi-Mechakra dans un roman psychologique particulièrement touchant.
« Sonia, le calvaire au féminin »
« Le beau village que j’ai connu s’est développé d’une manière anarchique mais les habitants ont gardé les mêmes qualités d’hospitalité et de tolérance. Nous vivions ensemble en symbiose », a-t-elle témoigné à propos de Meskiana, localité située en région chaouie. Elle s’est rappelé de la famille de Messaoud Khelfaoui, mort aux combats lors de la guerre de libération nationale, et des autres familles du village. La collaboration de Yasmina Gharbi-Mechakra avec l’Association Rachda, qui accueillait des femmes en détresse ou harcelées, à Constantine, lui a permis de recueillir de nombreux témoignages. Témoignages de femmes ayant subi des violences et collectés au centre d’écoute Nedjma.
Cette matière dense a nourri le deuxième et dernier roman de Yasmina Gharbi-Mechakra, « Sonia, le calvaire au féminin », paru aux éditions Médias-Plus, à Constantine, en 2017. La romancière y raconte le quotidien d’une femme battue. Emprisonnée presque dans la maison de la belle-famille, Sonia subissait les coups et les humiliations de son époux chaque jour sans pouvoir se défendre, sans être défendue et sans possibilité de se plaindre. Sonia a été abandonnée à son triste sort par son père alors qu’elle souffrait de la disparition de sa mère. Elle tentait de résister en sauvegardant ce qui lui restait d’humanité et de force dans un univers clos, froid et repoussant. « Je n’en pouvais plus de douleur. Tout mon corps brûlait, particulièrement la paupière, la lèvre et les bras qui avaient accumulé le plus de coups. Je n’ai pas eu la force d’ouvrir la fenêtre pour appeler au secours, mon œil enflait et se fermait. Là où je me touchais, je découvrais de la chaire vive. Je ne pus ni crier ni me mettre debout. Je songeais que j’allais mourir. Moi qui ai souvent songé à abréger mes souffrances et ma vie, je fus prise d’une peur panique, ma gorge se dessécha subitement, des frissons me parcoururent le dos et je m’aperçus que j’avais mouillé la place où j’étais tombée ainsi que mes vêtements. (…) Nuit blanche et pénible. Tout mon corps me faisait mal. Aucune partie n’en avait été épargnée par les coups. Je tentais d’essuyer le sang qui coulait de mes narines, mais mes bras ne me permettaient pas de porter les mains à la figure tant ils me faisaient mal. Ils avaient accusé les coups parce que je m’en servais pour protéger mon visage. Le sang se coagulait et engluait mes doigts. Je tamponnais difficilement ma lèvre fendue avec la manche de ma chemise de nuit. Je souffrais… », témoigne dans sa solitude Sonia.
« Se battre pour garder sa dignité »
L’œuvre est certes fictionnelle mais la réalité est plus dramatique, plus pénible. Le sujet des femmes battues reste toujours entouré de tabous, malgré tous les efforts du mouvement associatif : les épouses violentées ne se plaignent pas de peur de représailles et les familles étouffent les violences internes pour éviter « le scandale ». Sans être féministe, « Sonia, le calvaire au féminin » est un roman précieux pour rappeler le malheur des milliers de femmes qui souffrent en silence et qui ne trouvent pas d’issus à leur drame. « Sonia, ce sont toutes ces femmes qui souffrent, mais je ne voulais pas confiner la femme victime dans son rôle pleurant son sort, et l’acceptant comme fatalité. Je souhaitais la montrer dans un rôle plus positif où elle garde l’estime de soi. J’aimerai ainsi voir cette femme se battre pour garder sa dignité et donner du sens à sa vie. C’est un combat contre les personnes, mais aussi contre les mentalités », a expliqué la romancière lors d’un débat à l’université Mentouri de Constantine. « En fait, la violence est partout, dans la rue, les hommes sont violents entre eux, violents envers les femmes, les femmes sont violentes entre elles, sont violentes avec les enfants…Les femmes, les personnes âgées et les enfants sont dans les anneaux faibles de la chaîne. Je ne veux pas que les gens restent dans la posture de victimes. Je veux que les gens s’indignent », a-t-elle dit lors d’une brève interview. Elle a souhaité que les jeunes, ceux formés à l’université notamment, répandent la culture de la non violence dans la société.